Les Figures Lucquoises

                                                LES  FIGURES  LUCQUOISES

 

   Il y avait à LUC, comme dans tous les villages, des personnes emblématiques qui égayaient les villageois soit par leur caractère ou leur manière de vivre.

C'étaient de bons vivants qui savaient amuser tout le monde avec  leur accent ou leur franc parler. Il était coutumier dans le temps de donner des sobriquets à certains habitants, ces petits surnoms n'avaient aucune teneur de dérision, mais plutôt un caractère affectueux et lorsqu'on les croisait dans les rues,  on s'arrêtait pour  discuter un brin avec ces personnages riches en verve.

Ils ont tous laissé un souvenir qui court encore dans nos cœurs.

Je veux aujourd'hui laisser leur empreinte en rappelant aux  jeunes générations qui ne les ont pas connus que la vie d'un village d'antan était riche dans sa diversité  et respectueuse des autres.

Je vais donc vous  les présenter les uns à la suite des autres.

 

Tout d'abord :

 

  " Calixtou ": Il  tenait "la Ruche du Midi " qui occupait l'ancien salon de coiffure CROS à côté de la maison AURIOL et cela dans les années 1930. Il  disait à ses clients : "la coque à l'anis c'est moi qui la fait, c'est  moi qui la vend, c'est ma belle-mère qui prend l'argent !"

 

Ensuite :

 "  La Pépo ": De  son vrai nom Joséphine BERTRAND ,  habitait dans l'impasse derrière l'ancienne "Abeille Audoise " tenue par Léonie VILLA , puis par Titi GAXIEU  devenue par la suite boucherie CECCON ,  puis salon de coiffure actuel CARINE , aujourd'hui c'est l' impasse des Bégonias   . La "pépo "habitait  donc au fond de cette impasse qui avait été la maison ALLUE (beaux parents de MARTINEZ qui habitait lui-même à coté de la maison de  Guy GAXIEU) .Elle est actuellement occupée par Jocelyne LEBLANC.

Les habitants de LUC lui avaient composé une chanson en patois qui disait : "La pépo en bicicleto fa lé tour d'un caoulet , trabucco à una mongéto et fa un brabé pet ". Peut-être parce qu'elle ne savait pas monter à bicyclette et qu'elle était tombée plusieurs fois ?

En tout cas elle  était l'amie des familles GRIL -BELTRAN et montait très souvent les voir, mais …à pied !

  " Le Caporal ": de son vrai nom Sylvain CATHALA.

Il habitait avec sa sœur qui avait été aide soignante durant la guerre de 14/18 à l'hôpital de LUC  (cet hôpital se trouvait dans la maison  aujourd'hui  SAURY-GAXIEU), il avait aussi un frère surnommé le" Coltort " ou encore "lou Violonisto" à cause d'une malformation de naissance  aux cervicales qui lui avait fait pencher la tête. Ce dernier toujours un mégot de cigarette aux lèvres vivait donc  avec son frère Sylvain dans la maison située derrière la pharmacie dont   la cour  arrière est commune. Ils possédaient deux chiens mais avaient aussi  toute une armée de chats dont ils s'occupaient avec beaucoup d'amour.

Des gens mal intentionnés avaient composé un  poème pour Sylvain, dit « Le Caporal »,  que les jeunes de l'époque lui entonnaient lorsqu'ils le rencontraient au coin d'une rue.

Ce pamphlet méchant mettait Sylvain en colère  et  évidemment il poursuivait les jeunes qui s'enfuyaient à  toutes jambes. Le texte de ce court écrit disait ceci : "Le Caporal c'est une légume, ça mange, ça  boit, ça  chie, ça fume, ça ne sait pas écrire son nom, ça a la figure d'un con." J'ignore le stupide personnage qui avait écrit ce pamphlet, mais je peux témoigner et affirmer que " Le Caporal " et son frère étaient des personnes très gentilles, affables  qui savaient toujours rendre service aux personnes qui en avaient besoin.

Comme quoi  le village avait aussi ses "C…" pour mettre à mal d'honnêtes et serviables personnes !

   Eugénie de la ROQUE : Elle habitait la maison avant le croisement  de la route d'Ornaisons et la cave de Jean-Louis Bousquet, maison rénovée par Bruno Dario. Elle vivait misérablement et servait  de bonne chez Joseph DANTRAS qui habitait face à la place de LUC  à coté aujourd'hui du restaurant "La LUCIOLE ".

   Gaby  DENAT : Habitait au fond de "La Cure " la  maison qui faisait angle face au château FABRE. Toujours avec un béret sur la tête, elle avait coincé la porte d'entrée de sa maison avec un gerbier de fagots de sarments et passait toujours, pour sortir, par la fenêtre !

Vraie amoureuse des chats elle en nourrissait toute une ribambelle !

Elle était la fidèle vendangeuse des vignes de Monsieur FABRE.

 "  La Solé ": Habitait sur la Place Neuve (à coté de la maison de Robert VIDAL), il fallait monter les escaliers pour accéder à son logement, ces escaliers  sont désormais fermés par une porte.

Elle était la grand-mère de la famille nombreuse des COLAS qui occupaient une maison rue du Boulodrome en face de l'ancienne épicerie BASTIE (les docks méridionaux).

 "  Pépou ": De son vrai nom Joseph ESCLOUPIE,  habitait une maison qui est devenue plus tard le cabinet médical du Docteur André ALENGRIN. Il portait toujours un béret qui aurait tenu tout seul tellement il n'avait jamais été lavé ! On l'avait toujours vu avec une grosse barbe et  se promenait dans les rues de LUC en quête de pouvoir soutirer quelques centilitres de vin dans les caves du village, très nombreuses à l’époque. Il avait un ulcère variqueux à une jambe et se vantait de verser abondamment de l'alcool pour le désinfecter! D'ailleurs un ancien de LUC m'avait confié qu'il appréciait beaucoup les boissons alcoolisées et qu'il l'avait même vu, boire de l'eau de Cologne ! Il était vraiment un personnage connu de tout le village  et qui hélas mourut dans la misère.

   Jean LAGARDE : Mari de Juliette Lagarde ancienne épicière, dont l'épicerie se trouvait à côté des écoles. Jean,  la pipe à la bouche, accompagné de son chien fox , distribua le journal dans le village durant de nombreuses années . De temps en temps il aimait pousser la chansonnette, mais dans un répertoire plutôt paillard que les gens du village se plaisaient à écouter, il  était un bon vivant,  toujours une petite blague à raconter et très apprécié des lucquois.

   André VILLA : Plombier de son état, il avait succédé à son père Gaston VILLA qui avait son atelier dans la cave actuelle de la maison de CASTIGLIONE. André avait une belle voix de ténor et animait souvent avec son ami Louis -Roger le radio crochet de la fête de LUC mais aussi ceux des environs. Il fut invité une année par l'abbé SOURNY pour interpréter " le Minuit Chrétien" dans l'église de LUC pour la messe de minuit à Noël. A ce propos j'ai une petite anecdote à raconter : André ayant accepté cet honneur  se mit donc à répéter ce merveilleux  chant de Noël. Au mois d’août,  voyant qu'il était prêt, il partit avec son ami Jean Lagarde rendre visite à L'abbé SOURNY afin d’avoir son opinion. Ils montèrent donc tous deux au presbytère et André se mit à chanter, devant la beauté de l'interprétation l'abbé SOURNY proposa d'ouvrir la fenêtre afin que les personnes présentes sur la place et surtout au café à coté profitent de la magnificence de la voix d'André qui se remit à chanter le merveilleux chant de Noël. Lorsqu'il eut terminé ce fut un tonnerre d'applaudissements qui monta du dehors, alors Jean LAGARDE proposa aussi de chanter pour continuer le concert. L'abbé SOURNY qui connaissait le répertoire paillard  de Jean lui dit en ces termes : "Attends pour toi laisse moi fermer la fenêtre !". Le pauvre Jean n'eut pas droit aux applaudissements !

   Faustin CLUA : Habitait dans l'ancienne maison des CLUA  où réside actuellement Chantal DEWILDEMAN. Faustin était parti aux colonies  dans l'armée  en qualité de meccano car très  qualifié en mécanique. Lorsqu'il revenait en congé à LUC il s'adonnait à son  plaisir favori celui  des cueillettes dans la nature. Il avait une voix sonore et très caractéristique, si bien qu'on le reconnaissait de loin lorsqu'il parlait.

C'était un bon vivant qui aimait faire des farces et des blagues, à ce propos je veux citer deux  de ses tours  qui sont  restés  longtemps dans la mémoire de ceux qui les ont subi.

Un jour , il s'aperçut que les joueurs de belote étaient tous venus à bicyclette pour  disputer  leurs parties dans le café situé sur la place , elles étaient  garées en rang d'oignon contre le mur du presbytère situé  à côté et  à l'abri des regards , il lui vint une idée saugrenue , celle de démonter complètement les vieux vélos . En un temps, trois mouvements, des  roues , des cadres , furent entièrement séparés et suspendus aux branches des platanes de la place!  Inutile de vous conter la suite, la réaction des "beloteurs "fut violente. Ils se doutaient qu'une telle idée ne pouvait germer que dans la tête de Faustin, ils se mirent donc à la recherche de ce damné  dans tout le village. Mais Faustin avait disparu, retourné aux armées !

Une autre fois, c'est notre regretté Vivi BERTRAND qui en fit les frais. Il avait amené sa 404 à la forge de Jean BENASSIS afin qu'il répare son siège avant cassé, il faut préciser que Vivi ancien joueur de rugby avait la corpulence liée à ce sport et que son siège n'avait pas résisté longtemps à son poids ! Mais le forgeron devant l'amoncellement de toutes sortes de choses qui encombraient la voiture demanda à Faustin de lui nettoyer tous ces détritus afin de pouvoir réaliser son travail de soudure. Faustin, dans le tas,  tomba sur un magnum de champagne que Vivi avait sûrement gagné à une exposition canine. Cette bouteille oubliée dans tout ce fatras fit le bonheur  de notre Faustin qui n'hésita pas à faire sauter le bouchon et à se délecter de ce fameux nectar. Lorsque Vivi revint chercher sa voiture, de loin Faustin  lui montra la bouteille vide mais rebouchée, Vivi lui  conseilla de la remettre à l’arrière, ce que fit Faustin avec malice car il savait la  tête que  ferait Vivi en découvrant plus tard qu'elle était vide !

Voilà qui était ce diable de Faustin ! Toujours prêt à la plaisanterie.

   Louis FRANC : Dit LOUIS ROGER, son nom de spectacle, célèbre chanteur des  radios crochets Lucquois et des fêtes environnantes, il travaillait à la mairie de LUC et ramassait dans les rues du village les poubelles que les gens  mettaient devant leur porte. Accompagné de sa célèbre mule et de son charreton en bois, il parcourait son habituel itinéraire tout en apprenant, chantant et mimant les chansons qui allaient devenir ses principaux succès. Parfois, il oubliait  de marcher et chantait  se croyant déjà sur scène, mais  sa mule poursuivait alors comme un automate sa course habituelle et s'arrêtait devant l'endroit où elle avait l'habitude de décharger les décombres de la charrette. La pauvre bête attendait ainsi patiemment l'arrivée de LOUIS ROGER et lorsque celui-ci s'était aperçu de la situation ils revenaient tous deux vers le village pour finir la tournée !Ses chansons préférées étaient "Salade de fruits " de Bourvil , "Amora" dont le véritable titre de Dalida était "Amore", de ce fait tout le monde durant les radios crochets scandait : "la moutarde , la moutarde !"et notre LOUIS comprenait de quelle chanson il s’agissait. Une fois il annonça du haut de la scène: "ce soir je vais vous chanter une java : "La valse à Dédé de Montmartre!"

Ainsi était notre sympathique LOUIS ROGER.

   Jeannot MIRANDA était un homme réservé, il faisait partie du " club du banc "devant la grande maison BALESTE, il  promenait son chien fox tous les midis, il ne parlait pas trop lorsqu'il était en groupe, mais se libérait  lorsqu'il était en confiance avec une personne. C'était un véritable ordinateur car il retenait tout des "on dit "qui se disaient sur le banc et ainsi racontait  à celui qui l'écoutait, tout ce qui se passait dans le village.

C'était un homme très gentil, réservé et hélas trop tôt disparu .

 

   Je vais maintenant vous parler des célèbres chanteurs  de notre village.

 

   Michel DOMENECH : Lucquois de souche et viticulteur  il se plaisait à  monter sur scène lors de retrouvailles ou manifestations du troisième âge, il lançait alors quelques airs choisis  mais surtout sa célèbre tyrolienne.  Bon  vivant,  il aimait la chasse et surtout ses vignes qu'il soignait avec  attention.

  Edmond DUBUS : Venu à Luc par amour du village, il sut s'intégrer dans différentes associations et plus particulièrement au " 3 ème âge ". Il aimait lui aussi monter sur les

planches pour fredonner des airs (qui je pense étaient de sa composition) et de sa voix très grave enveloppait la salle qui écoutait avec attention son répertoire.

Paul TREMEGE : Enfant de Luc , marié à Georgette PALACIO fille du boucher du village. Engagé dans la marine lors de la deuxième guerre mondiale , il en ramena une chanson qu'il interprétait avec beaucoup d'émotion et qui avait pour thème : La Marine ! bien sûr . Fidèle de l'association du "3 ème âge ", il assistait aussi à toutes les manifestations du village que ce soit la MJC , le comité des fêtes et même les soirées poésies . Il était adepte du vélo et participait à toutes les randonnées le dimanche . Très bon danseur on peut dire qu'il a valsé jusqu'à la fin de sa vie .

   André VILLA : Célèbre plombier dans le village , André aimait chanter à l'église de Luc mais aussi surtout dans les radios crochets , celui  de Luc bien sûr ,  mais aussi  tous ceux des environs . Il avait une puissante et mélodieuse  voix de ténor. Ses airs préférés dans l'église étaient : "L'Ave Maria "et " Minuit Chrétien ". Dans les fêtes villageoises c'était un autre répertoire celui des années 50et60.

   Louis FRANC : Etait employé à la mairie de Luc , c'était un fervent des radios crochets et  un bout en train  , il était très demandé à LUC et dans les villages voisins, son nom de scène était LOUIS ROGER . Ses chansons préférées étaient : " La valse à Dédé de Montmartre ", "Amora"  de son véritable titre "Amore " ,  dont il avait gardé l'air et transformé les paroles. C'était un véritable succès et pour la lui faire chanter le public scandait : "la moutarde , la moutarde , la moutarde !"et LOUIS ROGER chantait "Amora "! Cependant sa chanson fétiche demeurera : "Salade de fruits " interprétée à l'époque par le regretté Bourvil .

   René CROS : Surement le plus célèbre chanteur de LUC , il tenait avec sa femme Alice le salon de coiffure situé dans la  "rue de la place" et qu'ils ont déménagé ensuite sur la Place de la République ". Dans les années 50/60 il avait dans son salon un poste radio muni d'une platine tourne disques , c'est ainsi qu'il faisait ses coupes de cheveux et chacun savourait ce moment en écoutant les disques de Tino Rossi et les histoires Corses de Christian Méry .

Il faut préciser que René avait la même voix que Tino Rossi et connaissait par cœur tout son répertoire , c 'est pour cette raison  qu'il était invité dans tous les villages du canton. Recevoir René c'était comme si on avait Tino Rossi sur place ! Ainsi il animait les repas entre les plats et fit partie durant des années de la troupe des "Tréteaux de Camplong ". Mais à LUC on l'appréciait surtout dans ses duos avec Marie -Luce BERNIJOL épouse du pharmacien (plus tard maire du village).     C'est avec elle qu'il interpréta les plus célèbres duos d'opérettes . Malgré un âge avancé il avait conservé sa voix et continua à régaler les manifestations du "3 ème âge ".

Malheureusement il nous quitta en 2020 presque centenaire.

 

    Après avoir parlé des chanteurs il me faut aussi mettre en valeur les personnages qui avaient du talent pour raconter des histoires.

 

  Robert TREMEGES : Racontait des histoires entendues à la radio ou publiées dans des journaux . Il régalait ainsi les adhérents des associations .

   Fernand FAGES : C'était le mari de Madame FAGES la directrice de l'école communale du village . Homme très sociable qui se plaisait à réciter des monologues , celui notamment intitulé "La Nappe " était son favori .

Malheureusement il fut atteint de surdité profonde et ne put continuer à clamer ses célèbres tirades .

   François GIBERT : Un des plus célèbres poètes du village , il écrivait en français mais aussi en Occitan se plaisant à narrer la vie sociale de l'époque , mais surtout à écrire des poèmes   sur LUC et le département de l'AUDE , son département qu'il affectionnait beaucoup .  Lui aussi animait des repas et participait à l'élaboration de la fête de "LA GAFFE ".C'était un homme très attachant , il édita plusieurs livrets de ses poèmes afin que les futures générations puissent avoir un témoignage et également ressentent le goût d'écrire à leur tour .

 

   Me voilà arrivé au bout de mon "histoire " sur ces hommes et ces femmes que ma mémoire d’adolescent et de jeune homme a retenu. Ils  ont été de véritables PERSONNAGES  dans la vie de mon village et c'est pour moi  une façon de leur rendre hommage  car ils ont illuminé  ces jours anciens où le village vivait dans la convivialité, l'entraide et le respect.

                                                                                 HENRI  NESTI